Hépatopathie alcoolique

(Maladie alcoolique du foie; maladie hépatique associée à l'alcool)

ParWhitney Jackson, MD, University of Colorado School of Medicine
Vérifié/Révisé juil. 2023
Voir l’éducation des patients

La consommation d'alcool est élevée dans la plupart des pays occidentaux. Selon une enquête utilisant la définition du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (DSM-5) du trouble de consommation d'alcool, en 2021, 11,3% des adultes américains âgés de 18 ans et plus avaient un trouble de consommation d'alcool au cours de l'année précédente (voir National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism [NIAAA]: Alcohol Use Disorder (AUD) in the United States). Le NIAAA a rapporté une augmentation de 25,5% des décès liés à la consommation d'alcool, d'environ 79 000 à plus de 99 000 par an, de 2019 à 2020, une augmentation de 2,2% par an au cours des deux décennies précédentes, ce qui suggère une augmentation due à la pandémie de COVID-19 (1).

Les troubles hépatiques qui se produisent chez les sujets présentant un trouble de consommation d'alcool, souvent en séquence, mais parfois coexistants, comprennent

(Voir aussi the 2019 American Association for the Study of Liver Disease’s practice guidelines for Alcohol-Associated Liver Disease.)

Un carcinome hépatocellulaire peut également se développer, en particulier en cas d'accumulation de fer.

Référence

  1. 1. White AM, Castle IP, Powell PA, et al: Alcohol-Related Deaths During the COVID-19 Pandemic. JAMA 327(17):1704-1706, 2022. doi:10.1001/jama.2022.4308

Facteurs de risque de la maladie hépatique alcoolique

Les principaux facteurs de risques d'hépatopathie alcoolique sont

  • La quantité et la durée de la consommation d'alcool

  • Sexe

  • Les traits génétiques et métaboliques

  • Obésité

Quantité d'alcool

Une boisson alcoolisée standard contient 14 grammes d'alcool, la quantité contenue dans une bouteille de bière de 355 mL, un verre de vin de 44 mL d'une boisson de spiritueux distillés contenant 40% d'alcool en volume. (Voir National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism (NIAAA): Drinking Patterns and Their Definitions).

Il semble exister un effet seuil au-dessus duquel la quantité et la durée de la consommation d'alcool augmentent le risque de développement d'une maladie du foie. Ce seuil est inconnu et varie selon les facteurs de risque individuels (1).

Le NIAAA définit la consommation modérée d'alcool comme une boisson standard par jour pour les femmes et deux boissons standard par jour pour les hommes (voir aussi Dietary Guidelines for Americans, 2020-2025). Cependant, l'Organisation mondiale de la santé a déclaré qu'il n'y a pas de niveau sûr de consommation d'alcool qui n'affecte pas la santé (2).

Le NIAAA définit "à risque" la consommation importante d'alcool chez les hommes comme plus de 14 boissons standard par semaine, ou plus de 4 boissons par jour, et chez les femmes comme plus de 7 boissons standard par semaine, ou plus de 3 boissons par jour (voir NIAAA: Drinking Levels Defined).

L'alcoolisation ponctuelle importante/beuverie peut également aggraver la maladie hépatique liée à l'alcool. Le NIAAA définit l'alcoolisation ponctuelle importante/beuverie comme un mode de consommation d'alcool qui produit des concentrations d'alcool dans le sang de 0,08 g/dL, ce qui se produit généralement après 4 verres dans le cas des femmes et 5 verres dans le cas des hommes, en environ 2 heures (voir NIAAA: Drinking Levels Defined).

Les patients qui ont une maladie hépatique liée à l'alcool ou d'autres maladies du foie, en particulier une stéatose hépatique non alcoolique, une stéatohépatite non alcoolique, une hépatite virale et une hémochromatose, ou toute consommation d'alcool qui entraîne des conséquences négatives, doivent être informés qu'il n'y a pas de niveau de consommation d'alcool sûr et qu'ils ne doivent pas boire.

L'American Association for the Study of Liver Diseases (AASLD) recommande que les patients recevant des soins généralistes et en cliniques de gastro-entérologie/hépatologie, les services d'urgence et les hôpitaux (en hospitalisation) soient dépistés systématiquement pour la consommation d'alcool au moyen de questionnaires validés. Une brève intervention, une pharmacothérapie et une orientation vers un traitement doivent être proposées aux patients qui consomment de l'alcool de manière dangereuse (c'est-à-dire, une consommation excessive d'alcool ou une alcoolisation ponctuelle importante/beuverie) (3, 4). L'AASLD recommande l'utilisation du test Alcohol Use Disorders Inventory (AUDIT) si une consommation excessive d'alcool est suspectée (3).

Les biomarqueurs de l'alcool, tels que l'éthyl glucuronide, le sulfate d'éthyle urinaire et le phosphatidyléthanol (PEth) dans les urines et les cheveux, peuvent être utilisés pour soutenir l'anamnèse du patient et faciliter la récupération.

Sexe

Les femmes sont plus sensibles aux hépatopathies alcooliques même après ajustement sur le volume corporel. Les femmes ne demandent que 20 à 40 g d'alcool/jour pour courir un risque, soit moitié moins que les hommes. Le risque chez la femme peut être augmenté parce qu'elles ont moins d'alcool déshydrogénase dans leur muqueuse gastrique; ainsi, davantage d'alcool intact atteint le foie.

Facteurs génétiques

L'existence de plusieurs cas d'hépatopathie alcoolique dans une même famille est fréquent, ce qui suggère le rôle de facteurs génétiques (p. ex., essentiellement la baisse de l'activité des enzymes cytoplasmiques qui éliminent l'alcool).

État nutritionnel

Une alimentation riche en graisses insaturées augmente la sensibilité, de même que l'obésité.

Autres facteurs

Les autres facteurs de risque incluent l'accumulation de fer dans le foie (non nécessairement liée à l'apport en fer) et une hépatite virale concomitante.

Références pour les facteurs de risque

  1. 1. Rehm J, Taylor B, Mohapatra S, et al: Alcohol as a risk factor for liver cirrhosis: a systematic review and meta-analysis. Drug Alcohol Rev 29(4):437-445, 2010. doi:10.1111/j.1465-3362.2009.00153.x

  2. 2. Anderson BO, Berdzuli N, Ilbawi A, et al: Health and cancer risks associated with low levels of alcohol consumption. Lancet Public Health 8(1):e6-e7, 2023. doi: 10.1016/S2468-2667(22)00317-6

  3. 3. Crabb DW, Im GY, Szabo G, et al: Diagnosis and Treatment of Alcohol-Associated Liver Diseases: 2019 Practice Guidance From the American Association for the Study of Liver Diseases. Hepatology 71(1):306-333, 2020. doi:10.1002/hep.30866

  4. 4. Saunders JB, Aasland OG, Babor TF, et al: Development of the Alcohol Use Disorders Identification Test (AUDIT): WHO Collaborative Project on Early Detection of Persons with Harmful Alcohol Consumption--II. Addiction 88(6):791-804, 1993. doi:10.1111/j.1360-0443.1993.tb02093.x

Physiopathologie de la maladie hépatique alcoolique

Absorption et métabolisme de l'alcool

L'alcool (éthanol) est rapidement absorbé dans l'estomac, mais il est essentiellement absorbé dans l'intestin grêle. L'alcool ne peut pas être stocké. Une petite quantité est dégradée lors de son passage à travers la muqueuse gastrique, mais la plus grande partie de l'alcool est catabolisée dans le foie, principalement par l'alcool déshydrogénase (ADH) mais également par le cytochrome P-450 2E1 (CYP2E1) et le système enzymatique microsomal d'oxydation (MEOS).

Le métabolisme de l'alcool via la voie de l'ADH comprend les éléments suivants:

  • L'ADH est une enzyme cytoplasmique qui oxyde l'alcool en acétaldéhyde. Les polymorphismes génétiques de l'ADH expliquent certaines différences individuelles d'alcoolémie mesurée après la consommation d'une même dose d'alcool mais ils n'expliquent pas la susceptibilité à développer une hépatopathie alcoolique.

  • L'acétaldéhyde déshydrogénase (ALDH) est une enzyme mitochondriale qui oxyde l'acétaldéhyde en acétate. La consommation chronique d'alcool augmente la formation d'acétate. Les sujets d'origine asiatique ont souvent une activité plus faible de l'ALDH et sont plus sensibles aux effets toxiques de l'acétaldéhyde (p. ex., le flush); ces effets sont similaires à ceux du disulfirame (antabuse) qui inhibe l'ALDH.

  • Ces réactions d'oxydation génèrent de l'hydrogène qui transforme le nicotinamide adénine dinucléotide (NAD) en sa forme réduite (NADH), augmentant ainsi le potentiel d'oxydoréduction (NADH/NAD) dans le foie.

  • L'augmentation du potentiel d'oxydoréduction inhibe l'oxydation des acides gras et la gluconéogenèse, accentuant l'accumulation de graisses dans le foie.

L'alcoolisme chronique induit le système enzymatique microsomial d'oxydation (MEOS) (principalement dans le réticulum endoplasmique), augmentant son activité. Le principal système enzymatique concerné est le CYP2E1. Lorsque qu'elle est induite, la voie du MEOS (système enzymatique microsomial d'oxydation) peut métaboliser jusqu'à 20% de l'alcool absorbé. Cette voie génère des corps chimiques dits réactifs à l'oxygène qui sont toxiques en augmentant le stress oxydatif et la formation de radicaux libres oxygène.

Accumulation de lipides hépatiques

Les graisses (triglycérides) s'accumulent dans les hépatocytes pour les raisons suivantes:

  • L'élimination des graisses du foie est diminuée parce que l'oxydation hépatique des acides gras et la production des lipoprotéines sont ralenties.

  • L'entrée des graisses dans le foie est accrue parce que la diminution de l'élimination des graisses par le foie augmente la lipolyse périphérique et la synthèse des triglycérides provoquant une hyperlipidémie.

L'accumulation de graisses dans le foie peut prédisposer à des lésions oxydatives ultérieures.

Endotoxines dans l'intestin

L'alcool modifie la perméabilité intestinale en augmentant l'absorption d'endotoxines libérées par les bactéries intestinales. En présence d'endotoxines intestinales (qui ne sont plus détoxifiées par le foie malade), les macrophages hépatiques (Cellules de Kupffer) libèrent des radicaux libres augmentant les lésions dues au stress oxydatif.

Lésions oxydatives

Le stress oxydatif est accru par

  • L'hypermétabolisme hépatique, provoqué par la consommation d'alcool

  • Les lésions par peroxydation lipidique induite par des radicaux libres

  • La diminution des antioxydants (p. ex., glutathion, vitamines A et E) secondaire à la dénutrition induite par la consommation d'alcool

  • La liaison des métabolites oxydatifs de l'alcool, tels que l'acétaldéhyde, aux protéines des cellules hépatiques, formant des néo-antigène et entraînant une inflammation

  • L'accumulation de polynucléaires neutrophiles et d'autres globules blancs attirés par les lésions secondaires à la peroxydation lipidique et les néo-antigène

  • Les cytokines inflammatoires sécrétées par les globules blancs

L'accumulation de fer intra-hépatique, sa présence aggrave les lésions oxydatives. Le fer peut s'accumuler en cas d'hépatopathie alcoolique suite à l'ingestion de fer contenu dans certains vins; le plus souvent, l'accumulation de fer reste modeste. Ce trouble peut être différencié de l'hémochromatose héréditaire.

Inflammation résultante, mort cellulaire et fibrose

Un cercle vicieux aggravant l'inflammation se met en place: la nécrose cellulaire et l'apoptose provoquent une perte hépatocytaire et les tentatives ultérieures de régénération cellulaire provoquent de la fibrose. Les cellules étoilées (cellules de Ito) le long des canaux sanguins (sinusoïdes) du foie prolifèrent et se transforment en myofibroblastes, produisant un excès de collagène de type I et de matrice extracellulaire. Par conséquent, les sinusoïdes rétrécissent, ce qui limite le flux sanguin. La fibrose rétrécit la portion terminale des veinules hépatiques compromettant la perfusion hépatique et contribuant à l'hypertension portale. La fibrose extensive provoque l'apparition d'une tentative de régénération cellulaire à l'origine de la formation de nodules hépatiques. Ce processus aboutit à la constitution d'une cirrhose.

Pathologie de la maladie alcoolique du foie

La stéatose hépatique, l'hépatite alcoolique et la cirrhose sont souvent considérées comme des lésions indépendantes et progressives de l'hépatopathie alcoolique. Cependant, elles coexistent souvent.

La stéatose hépatique alcoolique consécutive à la consommation excessive d'alcool est la lésion initiale et la plus fréquente. La stéatose hépatique est potentiellement réversible. Des graisses macrovésiculaires s'accumulent dans la cellule hépatique sous la forme de gouttelettes de triglycérides et déplacent le noyau des hépatocytes, surtout pour les cellules périveinulaires. Le foie augmente de volume.

L'hépatite alcoolique (stéatohépatite) associe à des degrés de sévérité variables une stéatose hépatique, une inflammation diffuse du foie et une nécrose hépatique (souvent focale). Les hépatocytes lésés peuvent présenter un aspect tuméfié et un cytoplasme granuleux (ballonisation hépatique) ou contenir une protéine fibrillaire dans leur cytoplasme (corps de Mallory ou corps hyalins alcooliques). Les hépatocytes sévèrement lésés deviennent nécrotiques. Les sinusoïdes et les veinules hépatiques terminales sont rétrécies. Une cirrhose peut être également présente.

La cirrhose alcoolique est une maladie hépatique avancée caractérisée par une fibrose extensive qui détruit l'architecture normale du foie. La quantité de graisse présente est variable. Une hépatite alcoolique peut coexister. La tentative de régénération hépatique compensatoire est faible et produit des nodules de taille relativement réduite (cirrhose micronodulaire). Par conséquent, le foie rétrécit généralement. Avec le temps, même en cas d'abstinence, la fibrose forme de larges bandes, séparant les tissus hépatiques en gros nodules (cirrhose macronodulaire, voir Cirrhose: physiopathologie).

Symptomatologie de l'hépatopathie alcoolique

Les symptômes apparaissent généralement entre 30 et 50 ans; les complications graves apparaissent environ 10 ans plus tard.

La stéatose hépatique alcoolique est souvent asymptomatique. Chez 1/3 des patients, le foie augmente de volume, habituellement de consistance molle et indolore.

L'hépatite alcoolique peut aussi bien se présenter sous une forme modérée et réversible que sous une forme potentiellement mortelle. La plupart des patients qui ont une forme modérée sont généralement dénutris et présentent initialement une fatigue, une fièvre, un ictère, des douleurs de l'hypochondre droit, une hépatomégalie douloureuse et parfois un souffle hépatique. Environ 40% des patients se détériorent rapidement après l'hospitalisation, avec des complications modérées (p. ex., ictère progressif) à graves (p. ex., ascite, encéphalopathie portosystémique, hémorragie digestive par rupture de varices œsophagiennes, insuffisance hépatique sévère avec hypoglycémie, coagulopathie). D'autres manifestations cliniques en rapport avec une cirrhose peuvent également être présentes.

La cirrhose peut être asymptomatique si elle est compensée. Le foie est habituellement de petite taille; lorsque le foie est augmenté de volume, une stéatose ou un hépatome doivent être évoqués. Les symptômes sont ceux de l'hépatite alcoolique ou sont liés à l'existence de complications d'une maladie hépatique avancée tels que l'hypertension portale (souvent avec des varices œsophagiennes et une hémorragie gastro-intestinale haute, une splénomégalie, une ascite et une encéphalopathie hépatique). L'hypertension portale peut provoquer la formation de shunts artérioveineux intrapulmonaires avec une hypoxémie (syndrome hépato-pulmonaire), ce qui peut entraîner l'apparition d'une cyanose et d'un hippocratisme digital. Une insuffisance rénale aiguë secondaire à la baisse progressive du débit sanguin rénal (syndrome hépato-rénal) peut se développer. Un carcinome hépatocellulaire se développe chez 10 à 15% des patients qui ont une cirrhose alcoolique.

L'alcoolisme chronique plutôt que la maladie hépatique, est à l'origine de la maladie de Dupuytren rétraction de l'aponévrose palmaire, de l'apparition d'angiomes stellaires, de myopathie et d'une neuropathie périphérique. Chez l'homme, la consommation chronique excessive d'alcool provoque des signes d'hypogonadisme et de féminisation (p. ex., peau lisse, absence de calvitie masculine, gynécomastie, atrophie testiculaire, diminution des poils). La dénutrition peut induire des carences vitaminiques multiples (p. ex., acide folique et thiamine), augmenter le volume des glandes parotides et rendre les ongles blancs. Chez les alcooliques, l'encéphalopathie de Wernicke et sa conséquence la psychose de Korsakoff sont principalement dues à une carence en thiamine. La pancréatite est fréquente. L'hépatite C est observée chez > 25% des alcooliques; cette association accélère significativement la progression de la maladie hépatique.

Rarement, les patients qui ont une stéatose ou une cirrhose hépatique peuvent avoir un syndrome de Zieve (hyperlipidémie, anémie hémolytique et ictère).

Diagnostic de l'hépatopathie alcoolique

  • L'anamnèse confirme une consommation d'alcool excessive régulière et ancienne

  • Biomarqueurs de l'alcool

  • Bilan hépatique et numération formule sanguine

  • Parfois, biopsie hépatique

L'alcool est la cause présumée de la maladie hépatique chez tout patient consommant de l'alcool de manière chronique et excessive, en particulier > 80 g/jour. Le trouble de consommation d'alcool peut être dépisté au moyen du questionnaire CAGE (need to Cut down [besoin de diminuer], Annoyed by criticism [gêné par les critiques], Guilty about drinking [culpabilité liée à la boisson], and need for a morning Eye-opener [et besoin d'alcool le matin pour se réveiller]; voir Detecting alcoholism. The CAGE questionnaire) o AUDIT (voir Alcohol Use Disorders Identification Test). Lorsque la consommation d'alcool du patient est incertaine, l'anamnèse peut être confirmée par les membres de la famille ou les biomarqueurs de l'alcool. L'éthyl glucuronide urinaire et dans les cheveux, le sulfate d'éthyle urinaire et le phosphatidyléthanol (PEth) ne sont pas affectés par la maladie hépatique. Le PEth est particulièrement utile car il a une demi-vie d'environ 10 à 14 jours, plus longue en cas de consommation chronique d'alcool. Il n'y a pas de test spécifique du diagnostic d'hépatopathie alcoolique, mais si le diagnostic est suspecté, un bilan hépatique (temps de prothrombine [temps de Quick (TQ)]; bilirubinémie, activité sérique des transaminases, et albuminémie) et une NFS sont effectuées pour détecter des signes de souffrance hépatique et d'anémie.

L'élévation de l'activité sérique des transaminases est modérée (< 300 UI/L) et ne reflète pas la sévérité des lésions hépatiques. Le rapport de l'aspartate aminotransférase (AST) à l'alanine aminotransférase (ALT) est 2. Le taux faible d'ALAT peut être expliqué par une carence d'apports en phosphate de pyridoxal (vitamine B6), qui est nécessaire au fonctionnement de l'enzyme. Son effet sur l'ASAT est moins important. L'activité sérique des gamma-glutamyl transpeptidase (GGT) augmente, plus par induction enzymatique de l'alcool que consécutivement à une cholestase ou à une lésion hépatique ou à la prise d'autres toxiques. La concentration sérique de l'albumine peut être basse, habituellement le reflet d'une dénutrition mais parfois il s'agit d'un déficit de synthèse consécutif à une insuffisance hépatique par ailleurs évidente. La macrocytose caractérisée par un volume globulaire moyen > 100 fL consécutive à l'effet direct de l'alcool sur la moelle osseuse ou à une anémie macrocytaire résultant d'une carence en folates, qui est fréquente chez les alcooliques dénutris. Les indicateurs de gravité de la maladie du foie sont les suivants

  • La bilirubinémie, qui représente la fonction sécrétoire

  • Temps de prothrombine ou rapport international normalisé (INR) qui reflète la capacité de synthèse

La thrombopénie peut résulter de l'effet toxique direct de l'alcool sur la moelle osseuse ou d'un hypersplénisme consécutif à une hypertension portale. L'hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles peut résulter d'une hépatite alcoolique, bien qu'une infection coexistante (en particulier une pneumonie et une péritonite bactérienne spontanée) doive également être suspectée.

L'imagerie du foie n'est pas toujours nécessaire au diagnostic. Si elles sont effectuées pour d'autres raisons, l'échographie ou la TDM abdominales peuvent suggérer une stéatose hépatique ou une splénomégalie, éléments en faveur d'une hypertension portale ou d'une ascite. L'élastométrie hépatique ou Fibroscan mesure la dureté du foie et détecte ainsi une fibrose avancée. Cet examen complémentaire précieux peut éviter d'effectuer une biopsie hépatique pour éliminer une cirrhose et évaluer le pronostic. Son intérêt exact est en cours d'étude.

Les patients présentant des signes évoquant une hépatopathie alcoolique doivent subir des tests de dépistage pour éliminer d'autres maladies hépatiques curables, dont les hépatites virales en particulier.

Du fait de l'existence de caractéristiques communes à la stéatose hépatique, l'hépatite alcoolique et la cirrhose, la description exacte des anomalies observées pour chacune est plus utile que de classer les patients dans une catégorie précise, car le diagnostic formel ne peut être obtenu que par l'examen histologique d'une biopsie hépatique.

Les indications de la biopsie hépatiques ne sont pas consensuelles. Les principales indications proposées sont les suivantes:

  • Confirmation d'un diagnostic clinique incertain (p. ex., signes cliniques et biologiques équivoques, augmentation persistante et inexpliquée de l'activité sérique des transaminases)

  • Suspicion clinique de coexistence de > 1 cause de maladie hépatique (p. ex., consommation excessive d'alcool et hépatite virale)

  • Besoin de préciser le pronostic de la maladie

L'examen histologique du foie confirme l'existence d'une hépatopathie, identifie la consommation excessive d'alcool comme la cause probable et permet d'évaluer la gravité des lésions hépatiques. Si une surcharge en fer est observée, la quantification du contenu en fer et les tests génétiques peuvent éliminer l'existence d'une hémochromatose héréditaire.

Dans le cas des patients cirrhotiques stables, l'American Association for the Study of Liver Diseases (AASLD) recommande qu'une échographie du foie, avec ou sans mesure de l'alpha-fœtoprotéine (AFP), soit effectuée tous les 6 mois pour dépister le carcinome hépatocellulaire. Ils suggèrent également de ne pas surveiller les patients qui ont une cirrhose de classe C de Child, à moins qu'ils ne soient sur une liste d'attente de transplantation, en raison de leur faible survie prévue (1).

Référence pour le diagnostic

  1. 1. Heimbach JK, Kulik LM, Finn RA, et al: AASLD guidelines for the treatment of hepatocellular carcinoma. Hepatology 67(1):358-380, 2018. doi: 10.1002/hep.29086

Traitement de la maladie alcoolique du foie

  • L'abstinence

  • Soins de support

  • Les corticostéroïdes et la nutrition entérale dans les hépatites alcooliques aiguës graves

  • Parfois, la transplantation hépatique

Arrêter la consommation d'alcool

L'abstinence est la base du traitement; elle empêche l'apparition d'autres lésions provoquées par la maladie alcoolique du foie et augmente ainsi la survie des patients. Le maintien de l'abstinence d'alcool est difficile, la prise en charge par une équipe formée et compréhensive est essentielle. Les interventions comportementales et psychosociales peuvent aider les patients motivés; elles comprennent des programmes de réhabilitation et des groupes de soutien (voir Trouble d'abus de consommation d'alcool et rééducation: entretien), des interventions brèves effectuées par des soignants, des thérapies qui explorent et clarifient la motivation au maintien de l'abstinence (entretiens ou thérapies motivationnelles).

Les médicaments, s'ils sont utilisés, doivent l'être en complément des autres interventions. Les antagonistes des opiacés (naltrexone ou nalméfène) et les médicaments qui modulent les récepteurs de l'acide gamma-aminobutyrique (baclofène ou acamprosate) semblent être bénéfiques à court terme en réduisant le désir intense de consommer et les symptômes de sevrage. Le disulfirame (antabuse) inhibe l'aldéhyde déshydrogénase, provoquant une accumulation d'acétaldéhyde; ainsi prendre de l'alcool dans les 12 heures suivant la prise de disulfirame (antabuse) peut provoquer des bouffées de chaleur et d'autres effets désagréables. Cependant, l'efficacité du disulfirame (antabuse) pour maintenir l'abstinence n'a pas été clairement démontrée, par conséquent il n'est recommandé que pour certains types de patients.

Soins de support

Les soins de support sont très importants. Un régime alimentaire à haute valeur nutritionnelle et des suppléments en vitamines (en particulier en vitamines B) sont systématiques pendant les premiers jours d'abstinence. Le sevrage alcoolique nécessite des benzodiazépines (p. ex., diazépam). En cas d'hépatopathie alcoolique avancée, une sédation excessive peut déclencher une encéphalopathie portosystémique et doit donc être évitée.

L'hépatite alcoolique aiguë sévère nécessite en général une hospitalisation, souvent en unité de soins intensifs (USI), pour faciliter la nutrition entérale (qui peut permettre de traiter les déficits nutritionnels) et la prise en charge des complications spécifiques (p. ex., infections, hémorragies par rupture de varices œsophagiennes, carences nutritionnelles spécifiques, encéphalopathie de Wernicke, psychose de Korsakoff, troubles hydro-électrolytiques, hypertension portale, ascite, encéphalopathie hépatique).

Traitement spécifique

Les corticostéroïdes (p. ex., prednisolone 40 mg/jour par voie orale pendant 4 semaines suivi d'une réduction progressive) améliorent le devenir des patients qui ont une hépatite alcoolique aiguë sévère (fonction discriminante de Maddrey 32) et qui n'ont pas d'infection, d'hémorragie gastro-intestinale, d'insuffisance rénale ou de pancréatite (1). Dans un grand essai contrôlé randomisé prospectif, la prednisolone a induit une diminution de la mortalité à 28 jours mais n'a pas atteint la signification statistique (2). Par conséquent, les corticostéroïdes peuvent être arrêtés avant la fin des 4 semaines s'il n'y a pas de réponse aux corticostéroïdes, comme déterminé par le score de Lille au 7e jour (3).

En dehors de la corticothérapie et de l'alimentation entérale, peu de traitements spécifiques sont clairement reconnus. L'administration de certains antioxydants (p. ex., S-adénosyl-L-méthionine, phosphatidylcholine, méthadoxine) a montré une amélioration des lésions hépatiques en cas de cirrhose débutante mais nécessite des études supplémentaires. Les thérapies ciblées sur les cytokines, en particulier le tumor necrosis factor-alpha (TNF-alpha), et visant à réduire l'inflammation ont eu des résultats mitigés dans des essais de petite taille. La pentoxifylline, un inhibiteur de la phosphodiestérase qui inhibe la synthèse du TNF-alpha, a montré des résultats mitigés dans des essais cliniques chez les patients présentant une hépatite alcoolique grave. Lorsque des inhibiteurs du TNF-alpha (p. ex., infliximab, étanercept) sont utilisés, le risque d'infection l'emporte sur le bénéfice. Les molécules administrées pour diminuer la fibrose hépatique (p. ex., colchicine, pénicillamine) et les médicaments administrés pour normaliser le syndrome hypermétabolique du foie alcoolique (p. ex., propylthio-uracile) n'ont pas d'efficacité prouvée. Les traitements antioxydants, tels que la silymarine (chardon Marie) et les vitamines A et E sont inefficaces.

La transplantation hépatique en cas de cirrhose associée à l'alcool doit être envisagée chez tous les patients présentant une maladie hépatique décompensée (ascite, péritonite bactérienne spontanée, hémorragie variqueuse, encéphalopathie hépatique) malgré l'abstinence. En cas de transplantation, la survie à 5 ans est comparable à celle des hépatopathies non alcooliques. L'American Association for the Study of Liver Diseases (AASLD) reconnaît les limites de la "règle des 6 mois" d'abstinence, encourageant plutôt l'évaluation des candidats en ce qui concerne la prédiction de la probabilité d'abstinence avant et après la transplantation indépendamment de la durée de la période de sobriété (voir Evaluation for liver transplantation in adults: 2013 practice guideline). Au cours de la pandémie du COVID-19, le nombre d'inscrits sur liste d'attente de transplantation a augmenté de plus de 50% par rapport aux prévisions pré-COVID, probablement en raison de l'augmentation du trouble de consommation d'alcool ainsi que des changements dans la stratification du risque des centres de transplantation (4, 5).

Références pour le traitement

  1. 1. Rambaldi A, Saconato HH, Christensen E, et al: Systematic review: Glucocorticosteroids for alcoholic hepatitis—A Cochrane Hepato-Biliary Group systematic review with meta-analyses and trial sequential analyses of randomized clinical trials. Aliment Pharmacol Ther 27(12):1167-1178, 2008. doi: 10.1111/j.1365-2036.2008.03685.x

  2. 2. Thursz MR, Richardson P, Allison M, et al: Prednisolone or pentoxifylline for alcoholic hepatitis. N Engl J Med 372:1619-1628, 2015. doi: 10.1056/NEJMoa1412278

  3. 3. Forrest EH, Atkinson SR, Richardson P, et al: Application of prognostic scores in the STOPAH trial: Discriminant function is no longer the optimal scoring system in alcoholic hepatitis. J Hepatol 68(3):511-518, 2018. doi: 10.1016/j.jhep.2017.11.017

  4. 4. Anderson MS, Valbuena VSM, Brown CS, et al: Association of COVID-19 With New Waiting List Registrations and Liver Transplantation for Alcoholic Hepatitis in the United States. JAMA Netw Open 4(10):e2131132, 2021. doi:10.1001/jamanetworkopen.2021.31132

  5. 5. Bittermann T, Mahmud N, Abt P: Trends in Liver Transplantation for Acute Alcohol-Associated Hepatitis During the COVID-19 Pandemic in the US. JAMA Netw Open 4(7):e2118713, 2021. doi:10.1001/jamanetworkopen.2021.18713

Pronostic de la maladie alcoolique du foie

Le pronostic dépend de l'importance de la fibrose hépatique et de l'inflammation. La stéatose hépatique et l'hépatite alcoolique sans fibrose sont réversibles si la consommation d'alcool est arrêtée. En cas d'abstinence, la disparition complète de la stéatose hépatique peut se produire en 6 semaines. La fibrose et la cirrhose sont habituellement irréversibles.

Certaines lésions histologiques (p. ex., infiltrat de polynucléaires neutrophiles, fibrose périveinulaire) sont de mauvais pronostic. Des scores prédictifs de la sévérité et de la mortalité ont été développés. Ils utilisent principalement les variables biologiques caractéristiques d'une insuffisance hépatique comme le taux de prothrombine, la créatinine (pour le syndrome hépato-rénal) et la concentration sérique de la bilirubine. Le score discriminant de Maddrey peut être utilisé; il est calculé par la formule suivante:

equation

Dans cette formule, la bilirubinémie est mesurée en mg/dL (conversion de la bilirubinémie en micromoles/L en divisant par 17). Une valeur du score > 32 est associée à une mortalité élevée à court terme (p. ex., à 1 mois, 35% sans encéphalopathie et 45% en cas d'encéphalopathie). Les autres scores comprennent le modèle pour la maladie hépatique terminale (score MELD [Model of End-Stage Liver Disease]), le score de Glasgow pour l'hépatite alcoolique et le score de Lille. Chez les patients 12 ans, le score MELD (Model of End-Stage Liver Disease) est calculé selon la formule suivante:

equation

Une fois que la cirrhose et ses complications (p. ex., ascite, hémorragies) sont apparues, le taux de survie à 5 ans est d'environ 50%; la survie est plus élevée chez les patients qui s'abstiennent de boire et plus basse chez les patients qui continuent de boire.

L’association à une surcharge en fer et à une hépatite virale chronique C augmente le risque de carcinome hépatocellulaire.

Points clés

  • Le risque de maladie alcoolique du foie augmente de manière significative chez les hommes qui ingèrent > 40 g, en particulier > 80 g, d'alcool/jour (p. ex., environ 2 à 8 canettes de bière, environ 3 à 6 verres de vin ou d'alcool fort) pendant > 10 ans; le risque augmente nettement chez les femmes si elles ingèrent environ la moitié de ces quantités.

  • Dépister les patients en utilisant le questionnaire AUDIT ou CAGE, et en cas de doute sur la consommation d'alcool du patient, envisager l'utilisation des biomarqueurs de l'alcoolisme.

  • Pour estimer le pronostic, rechercher des signes histologiques défavorables (p. ex., neutrophiles, fibrose périvénulaire) et utiliser une formule (p. ex., fonction discriminante de Maddrey, modèle pour les maladies du foie en phase terminale, score MELD [Model of End-Stage Liver Disease]).

  • Mettre l'accent sur l'abstinence, fournir des soins de support, hospitaliser et administrer des corticostéroïdes à des patients qui ont une hépatite alcoolique aiguë sévère.

  • Envisager une transplantation hépatique en cas de maladie hépatique décompensée (ascite, péritonite bactérienne spontanée, hémorragie variqueuse, encéphalopathie hépatique) malgré une abstinence.

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