L'ascite correspond à la présence de liquide dans la cavité péritonéale. La cause la plus fréquente est l'hypertension portale. Les symptômes résultent habituellement d'une distension abdominale. Le diagnostic repose sur l'examen clinique et souvent sur l'échographie ou la TDM. Le traitement comprend une restriction sodique, des diurétiques et une paracentèse. Le liquide d'ascite peut être infecté (péritonite bactérienne spontanée), souvent provoquant douleur et fièvre. Le diagnostic de l'infection nécessite l'analyse et la culture du liquide d'ascite. L'infection est traitée par des antibiotiques.
Étiologie de l'ascite
Une ascite peut résulter de troubles hépatiques, généralement chroniques mais parfois aigus; des pathologies sans relation avec le foie peuvent aussi être cause d'ascite.
Les causes hépatiques sont les suivantes:
Hypertension portale (représente 80% de toutes les ascites) (1), le plus souvent due à une cirrhose
Hépatite alcoolique sévère sans cirrhose
Obstruction de la veine hépatique (p. ex., syndrome de Budd-Chiari)
Une thrombose de la veine porte ne provoque habituellement pas d'ascite à moins que des lésions hépatocellulaires soient également présentes.
Les causes non-hépatiques sont les suivantes:
Rétention hydrosodée généralisée associée à une maladie systémique (p. ex., insuffisance cardiaque, syndrome néphrotique, hypoalbuminémie sévère, péricardite constrictive)
Pathologies du péritoine (p. ex., péritonite carcinomateuse ou infectieuse, écoulement biliaire dû à une intervention chirurgicale ou autre procédure médicale)
Causes moins fréquentes, telles que dialyse rénale, pancréatite, lupus érythémateux disséminé, obstruction ou lésion lymphatique, et troubles endocriniens (p. ex., myxœdème)
Référence pour l'étiologie
1. Tonon M, Piano S. Cirrhosis and Portal Hypertension: How Do We Deal with Ascites and Its Consequences. Med Clin North Am. 2023;107(3):505-516. doi:10.1016/j.mcna.2022.12.004
Physiopathologie de l'ascite
Les mécanismes sont complexes et imparfaitement compris. Les facteurs comprennent la vasodilatation splanchnique induite par le monoxyde d’azote, des forces de Starling modifiées dans les veines portes (pression oncotique faible en raison d'une hypoalbuminémie, plus augmentation de la pression veineuse portale), la rétention rénale avide de sodium (la concentration de sodium urinaire est généralement < 5 mEq/L [5 mmol/L]), et éventuellement une augmentation de la formation de lymphe hépatique.
Les mécanismes qui semblent contribuer à la rétention rénale de sodium comprennent l'activation du système rénine-angiotensine-aldostérone; l'augmentation du tonus sympathique; un shunt artérioveineux intrarénal au niveau du cortex; formation accrue de monoxyde d’azote; et la formation ou métabolisme altéré(e) de l'ADH (antidiuretic hormone), des kinines, des prostaglandines, et du facteur natriurétique auriculaire. La vasodilatation de la circulation splanchnique artérielle peut être un élément déclencheur, mais les rôles et les relations entre ces anomalies restent incertains.
Symptomatologie de l'ascite
De petites quantités de liquide d'ascite ne provoquent aucun symptôme. Des quantités modérées provoquent une augmentation du volume de l'abdomen et une prise de poids. Des quantités massives peuvent causer une pression abdominale diffuse non spécifique, mais la douleur réelle est rare et suggère une infection telle que la péritonite bactérienne spontanée ou une autre cause de douleur abdominale aiguë. Si l'ascite entraîne une compression du diaphragme, une dyspnée peut survenir.
Des volumes liquidiens < 1500 mL peuvent ne pas provoquer de signes cliniques notables. Lorsqu'ils sont présents, les signes comprennent une matité fluctuante (détectée à la percussion abdominale) et un signe du flot. Une ascite massive provoque une rigidité de la paroi abdominale et un aplatissement de l'ombilic.
Chez les patients atteints de maladie hépatique et d'hypertension portale, le volume d'ascite tend à être beaucoup plus important que chez les patients atteints de maladies systémiques (p. ex., insuffisance cardiaque). Chez les patients qui ont une hypertension portale, l'ascite peut exister avec ou sans œdème des membres inférieurs.
Diagnostic de l'ascite
Échographie ou TDM à moins que l'examen physique n'établisse un diagnostic clair.
Parfois, des tests de laboratoire sur le liquide d'ascite pour déterminer l'étiologie de l'ascite
Le diagnostic peut être fondé sur l'examen clinique en cas de grandes quantités de liquide, mais l'échographie et la TDM révèlent de plus petits volumes de liquide (100 à 200 mL) que ne le fait l'examen clinique. Une péritonite bactérienne spontanée est suspectée si un patient présentant une ascite a également des douleurs abdominales, de la fièvre, ou une détérioration inexpliquée. Cependant, la péritonite bactérienne spontanée peut également être asymptomatique, les seuls signes étant une aggravation de la fonction de synthèse hépatique ou une lésion rénale aiguë. Et parce que les retards de traitement conduisent à une mortalité élevée, le seuil de traitement doit être bas (1, 2).
La paracentèse diagnostique doit être pratiquée si l'une des situations suivantes se présente:
L'ascite est nouvellement diagnostiquée.
C'est une pathologie de cause inconnue.
Une péritonite bactérienne spontanée est suspectée.
En général, un petit volume de liquide sera d'abord prélevé pour évaluer l'étiologie de l'ascite et exclure une infection (PBA). Le liquide est prélevé et analysé pour en déterminer l'aspect macroscopique; albumine; la teneur en protéines; le nombre et la formule des leucocytes; la culture et, selon les indications cliniques, la cytologie, la coloration de Ziehl-Neelsen et/ou l'amylase. Contrairement à une ascite due à une inflammation ou à une infection, l'ascite due à l'hypertension portale produit un liquide clair, jaune paille, à faible concentration de protéines, contenant peu de neutrophiles (leucocytes polynucléaires) (< 250 cellules/mcL), et, beaucoup plus fiable, qui présente un gradient élevé de concentration de l'albumine sérique-ascitique, qui correspond à la concentration d'albumine sérique moins la concentration d'albumine dans l'ascite. Le gradient albumine-sérum de l'ascite ≥ 1,1 g/dL (11 g/L) et une faible concentration en protéines dans le liquide est relativement spécifique de l'ascite par hypertension portale. Dans le liquide d'ascite, un nombre de neutrophiles de > 250 cellules/mcL indique une péritonite bactérienne spontanée, tandis qu'un liquide sanguinolent évoque une tumeur ou une tuberculose. Les ascites laiteuses (chyleuses) sont rares mais sont plus fréquentes en cas de lymphome ou d'occlusion du canal lymphatique.
Références pour le diagnostic
1. Kim JJ, Tsukamoto MM, Mathur AK, et al. Delayed paracentesis is associated with increased in-hospital mortality in patients with spontaneous bacterial peritonitis. Am J Gastroenterol. 2014;109(9):1436-1442. doi:10.1038/ajg.2014.212
2. Biggins SW, Angeli P, Garcia-Tsao G, et al. Diagnosis, Evaluation, and Management of Ascites, Spontaneous Bacterial Peritonitis and Hepatorenal Syndrome: 2021 Practice Guidance by the American Association for the Study of Liver Diseases. Hepatology. 2021;74(2):1014-1048. doi:10.1002/hep.31884
Traitement de l'ascite
Restriction du sodium alimentaire
Médicaments (spironolactone, éventuellement avec furosémide)
Paracentèse thérapeutique
La restriction de sodium alimentaire (2000 mg/jour) est le premier traitement et celui qui présente le moins de risques pour l'ascite due à l'hypertension portale. Des diurétiques doivent être administrés si une restriction stricte en sodium ne relance par la diurèse en quelques jours. La spironolactone orale est habituellement efficace et est utilisée en association avec un diurétique de l'anse (p. ex., furosémide). La spironolactone pouvant provoquer une rétention de potassium et le furosémide une déplétion du potassium, l'association de ces médicaments permet souvent une diurèse optimale avec un faible risque d'anomalies du potassium. Une restriction hydrique n'est indiquée que pour le traitement de l'hyponatrémie (Na sérique < 125 mEq/L [125 mmol/L]).
Les modifications du poids corporel et la mesure du sodium urinaire reflètent la réponse au traitement. Une perte de poids d'environ 0,5 kg/jour correspond à une réponse optimale car l'ascite ne peut être mobilisée beaucoup plus rapidement. Une diurèse plus agressive diminue la quantité de liquide dans le compartiment intravasculaire, en particulier en l'absence d'œdème périphérique; cette déplétion peut provoquer une lésion rénale aiguë ou des anomalies électrolytiques (p. ex., une hypokaliémie) qui peut déclencher une encéphalopathie porto-systémique. En cas d'œdème périphérique, une diurèse plus agressive jusqu'à 1 kg/jour est généralement bien tolérée (1). L'insuffisance de la restriction alimentaire en sodium est la cause habituelle de l'ascite persistante.
La paracentèse thérapeutique peut être associée à des diurétiques. Si plus de 5 litres d'ascite sont enlevés, 6 à 8 g d'albumine à 25% doivent être administrés pour chaque litre prélevé. L'albumine permet de réduire le risque d'hypotension post-paracentèse (dysfonctionnement circulatoire post-paracentèse), qui peut déclencher syndrome hépato-rénal. La paracentèse thérapeutique peut réduire l'ascite plus rapidement que les diurétiques; cependant, les patients ont besoin de diurétiques au long cours pour éviter une nouvelle accumulation d'ascite.
Une anastomose portosystémique intrahépatique par voie transjugulaire (TIPS, transjugular intrahepatic portosystemic shunting) peut faire baisser la pression portale et traiter avec succès une ascite résistante aux autres traitements, mais l'anastomose portosystémique intrahépatique par voie transjugulaire est invasive et peut entraîner des complications, notamment une encéphalopathie porto-systémique et une aggravation de la fonction hépatocellulaire. Les techniques de perfusion autologue du liquide d'ascite (p. ex., dérivation péritonéoveineuse de LeVeen) provoquent souvent des complications et ne sont généralement plus utilisées.
L'ascite réfractaire est définie comme une ascite persistante qui nécessite une paracentèse malgré une dose maximale de diurétiques (furosémide 160 mg et spironolactone 400 mg/jour) ou une incapacité à tolérer les diurétiques en raison d'une lésion rénale aiguë ou d'une hypotension. L'ascite réfractaire est une indication de TIPS (transjugular intrahepatic portosystemic shunting) ou de transplantation hépatique.
L'ascite récidivante est définie par l'AASLD comme un antécédent de plus de 3 paracentèses de grand volume survenu au cours de la vie (définie comme l'élimination de ≥ 5 L en une seule procédure) (2). Les patients qui ont une ascite récidivante peuvent bénéficier de passer à une procédure d'anastomose portosystémique intrahépatique par voie transjugulaire (TIPS) ou à la transplantation à un stade plus précoce plutôt que d'attendre de répondre à la définition stricte et traditionnelle de l'ascite réfractaire (3). Plus précisément, une étude a noté que la survie sans transplantation à 1 an était significativement meilleure chez les patients présentant une ascite récidivante traités par anastomose portosystémique intrahépatique par voie transjugulaire (TIPS) (93%) que chez les patients traités par ponctions d'ascite répétées et diurétiques (53%) (4).
Références pour le traitement
1. European Association for the Study of the Liver. EASL Clinical Practice Guidelines for the management of patients with decompensated cirrhosis [published correction appears in J Hepatol. 2018 Nov;69(5):1207. doi: 10.1016/j.jhep.2018.08.009.]. J Hepatol. 2018;69(2):406-460. doi:10.1016/j.jhep.2018.03.024
2. Biggins SW, Angeli P, Garcia-Tsao G, et al. Diagnosis, Evaluation, and Management of Ascites, Spontaneous Bacterial Peritonitis and Hepatorenal Syndrome: 2021 Practice Guidance by the American Association for the Study of Liver Diseases. Hepatology. 2021;74(2):1014-1048. doi:10.1002/hep.31884
3. García-Pagán JC, Saffo S, Mandorfer M, et al. Where does TIPS fit in the management of patients with cirrhosis?. JHEP Rep. 2020;2(4):100122. Published 2020 May 23. doi:10.1016/j.jhepr.2020.100122
4. Bureau C, Thabut D, Oberti F, et al. Transjugular Intrahepatic Portosystemic Shunts With Covered Stents Increase Transplant-Free Survival of Patients With Cirrhosis and Recurrent Ascites [published correction appears in Gastroenterology. 2017 Sep;153(3):870. doi: 10.1053/j.gastro.2017.08.025.] Gastroenterology. 2017;152(1):157-163.
Points clés
L'ascite est un épanchement de liquide dans la cavité abdominale, généralement causé par une hypertension portale et parfois par d'autres pathologies hépatiques ou non hépatiques.
Des quantités modérées de liquide peuvent augmenter la circonférence abdominale et entraîner une prise de poids, et des quantités massives peuvent provoquer une distension abdominale, une pression, et une dyspnée; ces signes peuvent être absents si l'accumulation de liquide est < 1500 mL.
Sauf si le diagnostic est évident, confirmer la présence d'ascite par échographie ou TDM.
Si une ascite est nouvellement diagnostiquée, sa cause est inconnue ou une péritonite bactérienne spontanée est suspectée, faire une paracentèse et tester le liquide d'ascite.
Recommander une restriction alimentaire en Na, si ces mesures sont insuffisamment efficaces, envisager l'utilisation de diurétiques et une paracentèse thérapeutique.
Adresser rapidement les patients présentant une ascite réfractaire pour transplantation hépatique.
